L’arrêté royal du 17 juillet 2024, publié au Moniteur belge le 28 août 2024, a introduit un nouveau formulaire destiné à convoquer les mineurs en vue de leur audition, conformément aux articles 1004/1 et 1004/2 du Code judiciaire.
Cette modification s’inscrit dans le cadre de la réforme opérée par la loi du 27 mars 2024, laquelle a substantiellement modifié les règles relatives aux modalités d’audition des mineurs prévues par le Code judiciaire.
Le déroulement de l’audition du mineur depuis la loi du 27 mars 2024
L’article 1004/1 du Code judiciaire, tel que modifié par la loi du 27 mars 2024, débute désormais par une affirmation clé : « Tout mineur a le droit d’être entendu par un juge. » Cette formulation marque la volonté explicite du législateur de placer l’enfant au centre des décisions le concernant, dans un souci d’écoute et de prise en compte de ses intérêts. Toutefois, cette réforme ne s’arrête pas à cette déclaration de principe. La procédure relative à l’audition du mineur a également été révisée, comme détaillé ci-dessous.
Un droit élargi, mais encadré
Conformément à l’article 1004/1 du Code judiciaire, tout mineur dispose désormais du droit d’être entendu par un juge dans les matières qui le concernent. Ce droit ne s’applique toutefois pas dans certaines hypothèses, telles que :
- Les demandes relatives aux obligations alimentaires.
- Les demandes à caractère purement financier ou patrimonial.[1]
Ces exceptions ne semblent pas en contradiction avec la volonté du législateur de garantir l’audition de l’enfant dans les affaires ayant un impact direct sur sa personne ou ses intérêts fondamentaux.
Il est également envisageable, dans des circonstances exceptionnelles, que le juge refuse d’entendre un mineur. À titre d’exemple, une affaire survenue en Allemagne illustre une telle situation : un juge avait refusé d’auditionner un enfant âgé de 3 ans, sur la base d’un rapport psychologique concluant qu’une audition risquait de causer un préjudice psychologique à l’enfant.[2] Ce cas reflète la nécessité d’évaluer l’opportunité de l’audition au cas par cas, en fonction de l’âge et de l’intérêt supérieur de l’enfant.
Une distinction selon l’âge
La réforme introduit une distinction claire selon l’âge du mineur :
- Pour les mineurs âgés de 12 ans et plus : Le juge de la famille les informe directement de leur droit d’être entendus.
- Pour les mineurs de moins de 12 ans : Les parents (ou les titulaires de l’autorité parentale) sont informés par le juge de la possibilité pour l’enfant d’être entendu.
Cette distinction vise à adapter la procédure à la capacité de discernement de l’enfant, tout en respectant ses droits et son bien-être.
Accompagnement du mineur lors de l’audition
Le mineur peut être accompagné par une personne de confiance majeure de son choix, à l’exclusion :
- Des personnes directement impliquées dans la procédure,
- Des parents au deuxième degré de l’une des parties à la cause.[3]
Toutefois, l’accompagnement par un frère ou une sœur majeure(e) est autorisé, sous réserve de l’appréciation du juge. Ce dernier peut, à tout moment au cours de l’audition, demander à la personne de confiance de quitter la salle s’il estime que sa présence n’est pas utile ou qu’elle nuit au bon déroulement de l’audition. En cas de départ de cette personne, l’enfant a la possibilité de mettre fin à l’audition.
Confidentialité des informations communiquées par le mineur
Le mineur peut demander que certaines informations partagées lors de son audition demeurent confidentielles. Ces informations seront transmises exclusivement au parquet et ne seront pas communiquées aux parties à la cause.
Cette restriction, bien que justifiée par la nécessité de protéger l’intérêt supérieur de l’enfant, suscite des interrogations quant au respect du principe du contradictoire, fondamental en droit belge. Ce principe garantit à chaque partie la possibilité de prendre connaissance et de contester les éléments présentés contre elle.
Le rôle du juge est ici délicat : il doit déterminer quelles informations doivent être tenues confidentielles, tout en équilibrant la protection des intérêts légitimes de l’enfant et les exigences du contradictoire. En pratique, les juges acceptent généralement ces restrictions lorsqu’elles sont nécessaires pour préserver l’intérêt supérieur de l’enfant, notamment parce que celui-ci devra continuer à vivre avec ses deux parents.
Objectif de l’audition
Le juge est tenu d’expliquer au mineur que l’audition a pour but de lui permettre d’exprimer ses préoccupations et de contribuer à la recherche de la solution la plus appropriée à sa situation.
Lors de l’audition, le juge rappelle au mineur qu’il n’a pas la responsabilité de trancher le litige et que ses souhaits ne seront pas nécessairement suivis. Cette précision vise à éviter que l’enfant ressente un sentiment de culpabilité ou un stress excessif concernant l’issue de la procédure.
Audition des (demi-)frères et (demi-)sœurs
L’audition des (demi-)frères et (demi-)sœurs peut également être envisagée dans les affaires relatives à l’hébergement des enfants.[4] Cette pratique permet d’obtenir une vision plus complète de la situation familiale et de prendre une décision qui reflète au mieux l’intérêt supérieur de chaque enfant.
Cependant, ces auditions ne sont pas systématiques. Les juges les ordonnent principalement lorsqu’elles sont jugées nécessaires, afin d’éviter un stress inutile aux enfants concernés.
Assistance par un avocat
Le mineur peut être assisté par un avocat tout au long de la procédure, avant, pendant et après l’audition.
L’avocat agit exclusivement dans l’intérêt du mineur et est soumis au secret professionnel. Par conséquent, il ne peut révéler aux parents ni le contenu des échanges ayant eu lieu dans le cadre de l’audition ni les entretiens tenus avec le mineur.
L’arrêté royal du 17 juillet 2024 : un formulaire modernisé pour mieux accompagner les mineurs dans les procédures judiciaires
L’arrêté royal du 17 juillet 2024 a remplacé la version précédente du formulaire datant du 28 avril 2017. Ce nouveau formulaire privilégie une approche pédagogique pour faciliter la compréhension par le mineur des enjeux et du déroulement de l’audition judiciaire. Il intègre plusieurs innovations visant à rendre l’information plus accessible, notamment une présentation enrichie par des icônes, des liens vers des ressources supplémentaires sur la procédure judiciaire et sur la recherche d’un avocat spécialisé en droit de la jeunesse gratuit, ainsi qu’une vidéo explicative illustrant les étapes de l’audition. Le formulaire rappelle également au mineur qu’il conserve le droit de refuser l’invitation et qu’il n’est en aucun cas contraint d’y participer.
Malgré sa volonté pédagogique, le formulaire présente certaines imperfections en matière de communication. Une mention en gras indique que « ni une lettre ni un e-mail ne peuvent remplacer l’audition ». Bien que juridiquement correcte, cette formulation pourrait dissuader certains mineurs, notamment les plus timides ou hésitants, pour qui l’idée de s’exprimer devant un juge en personne peut être intimidante, les incitant à préférer une expression écrite. Si l’objectif d’un entretien en face-à-face est compréhensible pour garantir la fiabilité des échanges, une approche plus rassurante et nuancée aurait permis d’encourager davantage la participation active des mineurs tout en tenant compte de leur sensibilité.
Conclusion
La réforme introduite par la loi du 27 mars 2024 et concrétisée par l’arrêté royal du 17 juillet 2024 marque une avancée significative dans la prise en compte des droits et des besoins des mineurs dans les procédures judiciaires. En redéfinissant les modalités d’audition et en adoptant un formulaire modernisé et pédagogique, le législateur réaffirme l’importance de placer l’enfant au centre des décisions le concernant, tout en veillant à la protection de son bien-être et de ses intérêts supérieurs.
Cependant, certaines imprécisions dans la mise en œuvre, notamment en matière de communication et de terminologie, pourraient limiter l’efficacité pratique de ces réformes. Il appartiendra aux juges et aux avocats d’apporter les clarifications nécessaires pour garantir une application conforme aux principes du Code judiciaire et aux objectifs de la réforme. Ce cadre rénové, bien qu’encore perfectible, constitue un outil essentiel pour renforcer l’écoute et la participation des mineurs dans les procédures qui les concernent.
[1] Article 1004/1 du Code judiciaire
[2] Cour eur. D.H., 8 juillet 2003, Sahin c. Allemagne, arrêt de grande chambre, pts 73-74
[3] Article article 1004/1 du Code judiciaire
[4] C. Const., 21 avril 2022, n° 58/2022 , rôle 7618, https://www.const-court.be/public/f/2022/2022-058f.pdf